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vendredi 16 octobre 2020

DES CRIS DANS LE BIDONVILLE … SOUVENIR D’ANTAN …

  

A minuit déjà le jour recommence, et dans la nuit humide des rêves transgressent l’espoir de la misère aveugle des enfants. Des torrents d’images invisibles, y compris pour celles et ceux qui les côtoient dans le bidonville, dévalent leur précipice de vie et dessinent les falaises du temps qui s’échappe entre leurs mains innocentes.

Les eaux crépitent sous l’écume d’un canal puant en ce matin tiède. Jour et nuit, en un seul tour de terre, vie et mort dans une escapade fiévreuse, à la rencontre de quelques passants. Des millions de regards se sont livrés sur l’autel d’enfants comme eux. Au bonheur et à l’amertume de drôles de sensations, le monde poursuit sa route dans sa tranquille indifférence, dans une confiante apathie que le sort de millions de jeunes êtres meurtris, cabossés, écrasés par la vie au sortir du couffin ne sauraient déranger.

Pourquoi la terre nantie baisse-t-elle les yeux devant la muraille recouverte de tous ces papiers-peints couleurs de sang ! Tous ces enfants, cacheraient-ils les souffrances de leur propre cœur douloureux, drapés de leurs sourires légendaires ! Tous ces enfants, seraient-ils l’expression d’un miroir oublié, un miroir accroché au mur de la souffrance humaine, un miroir qui trahirait les formes sombres de leur propre visage, un visage-miroir de leur misère, un visage-miroir de leur propre cœur, un visage-miroir de leur douleur, de leur corps altéré par le temps de millions et de millions de vies !

Les lampes allumées en plein jour effacent l’imprévisible espoir du silence quotidien de ces enfants martyrisés. Ceux-ci n’entendent ni la jeunesse du vent qui frappe à leurs volets fermés, ni ne voient les lames cruelles de la mousson infecter le plan d’eau chahuté de leur bidonville.

Aujourd’hui, ils chantent les bonjours de rencontres futiles ; des femmes et des hommes sont venus jeter leurs yeux voyeurs sur leur pauvreté. Ils leur ont parlé de confiance en la vie, sans même ravaler leur morale de nantis ; puis ils sont partis, la mine héroïque, jouissant des grandeurs de leur cœur offert sur un autel de charité, l’espace d’une visite courtoise ; juste le temps d’abandonner quelques roupies et quelques bonbons.

Dans les profondeurs de l’éveil éteint de ces grands voyageurs du bonheur illusoire, la solitude des enfants aux larges sourires se relève ainsi, presque chaque jour, pour me rappeler les terribles loisirs de ces rencontres inutiles.

De fragiles épaules s’enfoncent dans le gris de leur rue et leur tiroir à mémoire se referme dans l’amour des rêves qu’ils cultivent tous les jours. Ce piège obscur des espoirs les plus futiles reproduit les contours d’un tombeau éloigné de ses cendres.

Mais ces enfants là ne veulent pas mourir, ils veulent seulement quitter leur rue lépreuse ; ils ne souhaitent plus travailler dans l’usine à poussière qui assure un semblant de pain gris quotidien, pour eux-mêmes, pour leurs parents, pour leurs frères et sœurs encore petits, encore trop tendres et trop fragiles pour intéresser l’avidité d’un commerçant rapace ou d’un entrepreneur vorace !

Mais les yeux de ces enfants sont clairs de lumière et leurs mains ont des allures magiques. Ils tourbillonnent dans la poussière et rendent leur rue toujours vivante. Leurs lèvres emplies de leur sourire ne se livrent pas aux silences des dangers qui les guettent au fond de leur vie de misère.

Avant de les croiser dans le bidonville je cachais en moi d’indicibles trésors. Aux premiers éclats de leurs rires j’ai senti comme un fil qui nous unissait. C’est peut-être le symbole d’une parenté qui lie chacun de nous à l’humanité. Si le sens de cet empressement prend racine dans l’amour des enfants, alors je suis partant pour traverser des océans, au mépris des frontières et de toutes les barrières qui viendraient à nier cette parenté.

 

    Martial, Calcutta, fin 1997, début 1998, pour les premiers pas d'Ecoles de la Terre

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