Comme me le dit
William Mellgren de la Fondation CUF, notre sponsor et notre conseiller de
toujours, il s’agit de bien savoir où Ecoles de la Terre se situe sur la ligne
de la charité ! En effet, cette interrogation est pour nous cruciale. Elle
préfigure la question qui est de comprendre si nos actions de soutien à
l’éducation, à la santé et à l’aide sociale, ont des vertus d’efficacité plutôt
que de charité !
L’adage du pêcheur
et du poisson est sans doute sur les lèvres de nombre d’entre vous ; il
est dans notre esprit chaque jour et inspire chacune de nos actions ; mais
encore faut-il correctement l’interpréter. Il est certain que ce proverbe,
plutôt attribué à Confucius, retient chez Ecoles de la Terre une grande
attention. Cette maxime nous dit que "lorsqu’un
homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un
poisson".
Certaines critiques
à cet adage chinois peuvent se résumer ainsi. La femme et l’homme, à qui on
pourrait proposer une formation à la pêche sont absents de cette expression. Et
je rajouterai une question à cet avis ; que veut cette femme, que veut cet
homme ; que pense-t-elle, que pense-t-il ? Est-ce qu’elle souhaite,
est-ce qu’il souhaite apprendre à pêcher ? Nous nous sommes donc posé la
question et nous l’avons posée sur le terrain de nos programmes à celles
et ceux que nous soutenons à travers nos divers programmes d’éducation, de
santé et de soutien économique. Nous
organisons des rencontres avec les parents de nos élèves, des meetings avec les
mères bénéficiaires de notre programme de microcrédit, des réunions avec les
utilisateurs de nos services sanitaires. Lors de tous ces rendez-vous les
questions relatives à l’acquisition du savoir et des compétences sont
régulièrement présentées, traitées puis négociées.
Vous aurez bien
compris qu’Ecoles de la Terre souhaite plutôt enseigner que seulement donner,
sans compter les effets sur l’avenir, sans tenir compte du développement
inhérent au don, à l’aide et à l’assistance. Nous mettons l’accent avant tout sur
la collaboration, la coopération, sachant bien que dans nos activités, celles-ci
prennent de l’ampleur si les faits de donner et de recevoir sont issus d’un
objectif commun, améliorer le sort des enfants et de leurs familles, changer le
cours des choses pour une population pauvre et nécessiteuse.
Je souhaite rappeler
ici le sens du proverbe bien connu du "pêcheur et du poisson" en
prenant pour critère d’appréciation notre programme de microcrédit. Et je
profite ici de citer une variante à cet adage ; certains disent que "si
nous donnons un poisson à un homme, il mangera un jour ; si nous lui
apprenons à pêcher, il mangera toujours". Ce proverbe, enveloppé de
variantes, traite indiscutablement de la question de l’autonomie, question également
cruciale pour Ecoles de la Terre ; je vais jusqu’à dire que la question de
l’autonomie, en tant que liberté et volonté d’une population de se financer et
s’administrer elle-même, représente pour
nous la pierre angulaire qui se doit de singulariser et marquer notre mission.
Depuis le début de
l’année 2010, nous avons mis sur pied notre programme de microcrédit que nous
appelons aussi "Earning Education", une expression difficile à
traduire en langue française ; nous proposons l’interprétation suivante :
"l’épargne et l’investissement des populations pour le financement de
l’éducation". Ce programme, que nous présentons en détail dans notre site
internet et notre blog de voyage, consiste à octroyer de petits crédits aux
mères de famille des villages et des zones suburbaines où nous œuvrons. Ces mères
bénéficiaires de prêts, une fois sélectionnées par le staff responsable
d’Ecoles de la Terre, travaillent et s’auto-choisissent en groupe de 5 afin de
favoriser l’esprit de solidarité et promouvoir une plus grande efficacité.
Au cours de ces 7
dernières années [2010 à 2017], plus de 15'000 mères ont disposé et profité des
crédits d’Ecoles de la Terre afin de démarrer et/ou développer leurs petites
entreprises familiales. J’observe avec bonheur et j’ai le plaisir de vous informer que la
totalité, le 100%, des prêts accordés ont été remboursés dans les 3 États où le
programme est déployé, l’Ouest Bengale [les Îles des Sundarbans], le Bihar et
le Rajasthan. 2'500 familles, sous la direction gestionnaires des mères,
bénéficient en permanence du soutien proposé par notre programme de
microcrédit. Près de 100'000'000 de roupies indiennes [1'700'000 Francs
Suisses] ont été mis à la disposition de ces mères afin de lancer et développer
leurs entreprises familiales et monétiser leurs villages, jusqu’alors
dépouillés de tout flux financier.
Notre ferme volonté,
c’est de passer des actions de charité à l’accès à l’autonomie et de pouvoir au
surplus mesurer l’impact sur l’investissement engagé ; autrement dit, être
à même d’évaluer, puis de calculer le bénéfice social généré pour les
communautés soutenues. Par bénéfice social [social benefit], nous comprenons la
participation des familles à l’éducation et au développement professionnel [en
faveur des filles principalement] ; l’amélioration du statut des mères de
familles et l’accroissement des revenus des communautés ; l’amélioration
des conditions sanitaires, la maintenance des usines de purification de l’eau
et la participation des familles aux charges de santé.
Concrètement, cette
démarche éducationnelle, sociale et économique présuppose que nos actions soient
considérées comme un "tout", à savoir que nos efforts en matière
d’éducation prennent aussi en compte l’état de santé de nos étudiants et s’attachent
également à traiter l’aspect économique des familles qui forment la société
d’où sont issus nos élèves et nos
apprentis. Je résumerai cette approche en vous disant qu’Ecoles de la Terre met
en œuvre ses programmes sous l’angle de la conjugaison des actions et la
recherche d’un effet multiplicateur englobant l’étudiant, la famille, le bilan
sanitaire et la conjoncture économique des populations pauvres pour lesquelles
nous travaillons.
À la faveur de ces
efforts et moyennant les produits d’intérêts du programme de microcrédit, pour
une large part, de même que la participation des familles au financement des
écoles et les contributions naissantes de sponsors indiens, nos dépenses de
fonctionnement sont aujourd’hui autofinancées à hauteur de 41% de notre budget
de dépenses. En effet, notre budget pour l’exercice 2017-2018 [du 1er
avril 2017 au 31 mars 2018] se chiffre à 11 millions de Roupies Indiennes
[185'000 Francs Suisses] ; le financement extérieur assuré par Ecoles de
la Terre Genève se monte à 65 millions de Roupies Indienne [109'000 Francs
Suisse] et l’autofinancement ici Inde se chiffre à 45 millions de Roupies
Indiennes [76'000 Francs Suisses]. Sachant que les donations ont tendance à se
raréfier en Europe, je pense que nous sommes sur la bonne voie de
l’autofinancement intégral des coûts opérationnels [frais de fonctionnement des
écoles et des centres]. Le plus vite nous réaliserons notre objectif de
l’autosuffisance à 100%, le mieux nous pourrons nous consacrer au financement
de nouveaux projets [constructions ou extensions de nouvelles écoles, de
nouveaux centres d’apprentissage, de nouveaux collèges, de nouvelles stations
de purification d’eau, de nouveaux dispensaires, de nouvelles structures de
santé, etc …].
C’est aussi une
manière comme une autre de concevoir, d’objectiver puis concrétiser l’adage de Confucius, repris de bien des
façons par tant d’économistes, de philosophes ou autres essayistes … "lorsqu’un
homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un
poisson". Et c’est encore l’assurance d’étendre notre soutien à d’autres
enfants, à d’autres familles, à d’autres
populations, tous moins privilégiés.
J’exprime ma
reconnaissance à l’égard de celles et ceux qui ont pris le temps de lire ce
message ; et je dis toute ma gratitude à celles et ceux qui nous
encouragent et nous soutiennent. Avec mes chaleureuses pensées.
Martial Salamolard
pour ECOLES DE LA TERRE