CHÈRES AMIES, CHERS AMIS,
Avant d’entamer la dernière étape de mon séjour 2014 au Rajasthan – District de Jaisalmer & Désert du
Thar – je vous parle dans le présent
« blog » de nos activités au Bihar, où je me trouve encore en ce
moment, un Etat de l’Inde encore en voie de développement, en retard sur bien
des domaines par rapport aux autres régions du subcontinent indien. La crise
économique qui sévit partout dans le monde s’est également propagée en Asie du
Sud, ce qui a compliqué la donne pour les régions les plus défavorisées, dont
le Bihar bien sûr.
D’une façon générale le Bihar évolue tout de même un petit peu vers le modernisme,
principalement dans les villes où quelques progrès sont visibles, notamment en
matière d’aménagement des routes, de construction et de salubrité. Mais lorsque
vous parcourrez les zones rurales de cet Etat, davantage peuplé que la France
ou l’Allemagne, je me dis que peu de choses ont changé depuis mon premier
passage au printemps 1998, que les villages que je visite appartiennent encore
et toujours à un autre siècle.
Le poids des castes et de ses
traditions est encore bien présent et accable
toujours profondément les populations les plus pauvres, les plus fragiles, les
hors castes ; les « dalits » ou les « harijans » comme
on les appelle ici ! « Harijan » ce mot sanskrit qui signifie
« créature de Dieu » a été donné par le Mahatma Gandhi pour qualifier
les Intouchables, pour les réhabiliter en quelque sorte ! Si ce mot fait
bien dans le paysage, il n’en demeure pas moins que l’appellation
« dalit » est la plus souvent utilisée pour parler des Intouchables,
des parias, ce groupe d’êtres humains exclu du système des castes comme le sont
les aborigènes d’Australie et d’ailleurs.
Il serait faux de dire que rien n’a
été fait dans cette région parmi les plus
pauvres de l’Inde. Depuis quelques années un mouvement anti-corruption se fait
jour dans l’Inde entière. Le Bihar est bien sûr visé par ce fléau qui a conduit
le gouvernement vers le marchandage et les alliances avec des mouvements
maffieux et des groupes d’intérêts peu recommandables. Aujourd’hui nous dit-on,
l'adoption de nouvelles réformes par le gouvernement, avec le soutien financier
et technique de la Banque mondiale, a aidé cet Etat à améliorer la gestion des
finances publiques et à réinvestir le produit de ces économies dans
l'amélioration de la scolarisation, dans le développement de programmes de
vaccination et dans la lutte contre la corruption. Dans la forme c’est sans
doute vrai ; mais dans le fond les changements réels tardent à s’opérer,
notamment en matière de scolarisation en zone rurale. Je suis là pour
l’attester, pour le certifier ; ce que je fais au paragraphe suivant.
L’organisation et la gestion des
écoles gouvernementales de villages sont pour le moins
catastrophiques dans nombre de régions rurales indiennes. J’en veux pour preuve
mes deux dernières visites dans la région de « Maher » qui se trouve
en pleine campagne à une trentaine de kilomètres de la ville de Gaya-Bihar. Il
y a là 27 villages que j’ai tous traversés et où je me suis arrêté. Au total, sept
écoles gouvernementales sont destinées à assurer l’éducation de plus de 2000
enfants pour les programmes des niveaux « maternel à classe 5 ». En
réalité, moins de 500 élèves viennent « épisodiquement » dans ces
écoles. Les programmes ne sont pas respectés, je devrais dire jamais tenus ;
les enseignants sont davantage absents que les élèves ; bref, la
corruption bat son plein dans toute sa splendeur, au détriment des enfants qui
ne comprennent pas ce qui se passent au juste, et à la grande colère des
parents qui me l’ont fait savoir ! Devant un tel désordre, une telle
gabegie, nous avons décidé de les écouter et nous imaginons une éventuelle
action dans le futur ; affaire à suivre. Ces situations sont trop nombreuses
dans les villages de l’Inde, ce pays dont la vie campagnarde embrasse encore
près de 70% de sa population !
Que fait-on dans cette galère, d’aucuns pourraient bien penser ou nous le demander ! Il m’arrive
parfois de me poser la même question ; mais bien vite le bon sens de la
mission « Ecoles de la Terre » prend le dessus. Nous sommes là,
justement, pour participer au renversement des choses, pour accueillir les
enfants les plus pauvres, et parmi eux beaucoup d’harijans, qui ne pourraient
sans notre soutien, ni entamer, ni poursuivre un cursus scolaire digne de cette
expression. C’est un travail de longue haleine qui prend beaucoup d’énergie et
nécessite une motivation à toute épreuve. Dès que le doute s’installe, il faut
revenir à l’essentiel, nous demander pourquoi nous sommes là ! Un jour,
nous nous sommes dits : travaillons pour faire valoir les droits à l’éducation
en faveur de ces enfants ! Alors à nous de tenir cette promesse et de
renverser le courant, à nous de rester !
Aujourd’hui en 2014, Ecoles de la
Terre prend en charge un certain nombre d’écoles, de
centres d’apprentissage pour jeunes filles et de programmes médicaux dont je
vous donne ci-après les chiffres et données principaux. L’ensemble des
programmes scolaires et d’apprentissage concernent 2850 élèves, répartis en 1650
filles [58%] et 1200 garçons [42%]. Le surplus de filles [16%] s’explique par
nos centres d’apprentissage accueillant exclusivement les jeunes filles. Pour
nos seules écoles, la parité [50-50] est respectée entre filles et garçons.
Depuis toujours, nous obligeons les familles à nous envoyer leurs filles, faute
de quoi nous n’acceptons pas leurs garçons.
Je n’irai pas jusqu’ à vous dire que la galère du Bihar prend chez Ecoles de la Terre la forme d’un
bateau de plaisance. Mais tout de même, à force d’imposer nos principes, à force
de dialoguer avec les parents qui deviennent nos principaux partisans sur le
terrain et nos défenseurs face à l’adversité, je peux vous dire que nos actions
vont dans le bons sens, que nos programmes sont respectés. Nous atteignons ainsi notre principal
objectif, celui de renverser la courbe de l’analphabétisme qui prévalait
auparavant.
Pour terminer ce message « bihari », j’envoie, je décoche, comme un jet de poésie, le nom de nos écoles du
Bihar, avec un ou deux mots de circonstance pour chacune d’elle. ● Il y a « Camijuli
», 14 ans d’âge, la première née dans le village d’Itra, avec ses 2 petites
succursales, « Bandha » et « Manjibigha », du nom de leur
village, qui toutes sentent bon la campagne ; elles accueillent près de 1'100
élèves. ● Au village de Baiju Bigha, Il y a « Sujata », du nom d’une fillette
qui dans la légende sauva le Bouddha d’une mort de faim certaine, qui reçoit 240
enfants. ● Il y a dans le village de Nain Bigha depuis plus de 10 ans « Jolibigha
– Matijoli », une grosse maison dans la prairie lointaine qui héberge 610
élèves. ● Il y a depuis l’année 2008 « Saraswati School », du nom de
la déesse hindoue des arts et de l’éducation qui accueille 530 enfants. ● Il y
a depuis 2010 « WillyWidalya » dans les champs de Baheradi, une petite
école coquette qui reçoit 205 élèves. ● Et puis, il y a encore « Bharti »
à Kusumbara et ses 70 élèves, école qui fut construite en 2012 en l’honneur de
Bharti, la petite fille orpheline née entre 2 rails de chemin de fer à la gare
de Dehri-On-Sone. Je terminerai cette liste en vous citant nos centres d’apprentissage ;
● celui « Rudraksha » à Baiju Bigha, un centre aux mille couleurs, et
ses 230 jeunes filles, plus vives les unes que les autres ; ● celui de
Pahara dans la ville grise de Gaya, la capitale du district, et ses 75 jeunes
filles, attentionnées à souhait ; ●
celui de Dehri-On-Sone, la ville sur la route de Bénarès et ses 110 jeunes
filles à l’attitude sérieuse et provençale ! Tous ces lieux, toutes ces
écoles, tous ces centres dont je voulais vous citer les noms !
Avec ma reconnaissance pour tout ce
temps que vous avez donné. Merci !
Amitiés,
Martial Salamolard pour ECOLES DE LA
TERRE