Voir
l’Inde d’aujourd’hui
L’Inde
brille par ses sens. Odeurs, saveurs, bruits et couleurs
vous embrassent de mille feux dès votre arrivée en son sein ! Et si vous
ajoutez qu’en matière de toucher, les indiens sont aussi tactiles, vous aurez
compris que les sens dansent avec la vie ; celle des jours gris, pas
toujours faciles ; celle des grands jours, à tous points subtiles.
Je
vous dis deux mots de l’Inde des grands jours ;
c’est l’Inde de la fête, de la culture, des grandes traditions et des
saris ; celle des « pujas », les cérémonies en l’honneur des
dieux, des morts et des vivants ; celle de Gandhi, de Nehru, de
l’indépendance ; celle de la démocratie, de l’ouverture au monde et des
grands rassemblements. Je pourrais ne pas m’arrêter, tant l’Inde, pays de
contrastes et de paradoxes, est grande en tout ; dans ses jours de fête et
sur ses lieux de rencontre où ses habitants se déplacent par millions pour
chanter la vie, ou alors contester avec véhémence le pouvoir des hommes tout en
honorant celui des dieux !
L’Inde
a aussi ses jours gris ; c’est l’Inde de la corruption, du
fossé entre riches et pauvres ; en définitive c’est l’Inde de la pauvreté.
C’est bien sur ce point que je mettrai l’accent dans ce blog ; comme pour
vous dire que si je suis ici, c’est donc que je suis là pour ça ! Il ne
faut surtout pas que je m’emporte et fasse mon présomptueux ; que je me
prenne pour un « réincarné » de la cuisse de Jupiter ou de Vishnou. Non, je ne suis
qu’une minuscule goutte d’eau qui est tombée dans une immensité de mer d’humains,
chiffrés aux alentours du milliard et trois cent millions, juste derrière la
Chine, mais bientôt devant !
Je poursuis ma présentation de l’Inde avec
l’envie de la partager avec mes amis. Son 138ème rang sur 187 pays
selon l’indice du développement humain [IDH – 2012] ne laisse aucun doute à ce
sujet. Le Programme des Nations Unies pour le Développement [PNUD] considère
qu’à la même époque, près d’un demi-milliard d’indiens vivent dans la pauvreté,
à savoir avec moins de 1,25 dollar par jour. Ces chiffres signifient, mais
quelle surprise, que le 40% des pauvres de la planète Terre sont indiens. Cela
pourrait bien sûr justifier notre présence en Inde depuis maintenant 18 années ;
mais ce n’est pas, comme déjà dit, notre propos !
À
travers la vie des Sundarbans
Me
trouvant à Raidighi depuis
une semaine, une bourgade aux portes des îles Sundarbans, c’est de ce coin de
l’Inde dont je souhaite vous parler plus concrètement. Avec Nandalal Baidya, le
responsable de nos programmes scolaires, sociaux et économiques de cette région
qui se confine au district de « South 24 Parganas », nous avons tenté
de faire le point de la situation en ce qui concerne certaines questions telles
que (1) la répartition de la population par classes "économiques",
(2) le droit d’accès à la propriété de la terre et au monde des affaires et des
services (3) la provenance de nos étudiants en fonction de leur appartenance
aux classes indiquées ci-dessus. (4) Les différents taux d’alphabétisation en
fonction de ces classes. Tout d’abord je vous donnerai quelques chiffres pour
situer les îles Sundarbans dans l’Etat de l’Ouest Bengale dont elles font
partie à titre de district, South 24 Parganas.
L’Ouest
Bengale,
l’un des 28 Etats fédérés de l’Inde compte plus de 90 millions
d’habitants ; sa densité est d’un peu plus de 1'000 habitants au kilomètre
carré et sa superficie de 88'752 kilomètres carrés. Cet Etat de l’Inde est
réparti en 19 districts dont celui d’où je vous écris aujourd’hui, South
24 Parganas. Sa population est constituée de 73% d’hindous, de 25% de
musulmans et de 2% d’autres religions.
À l’échelle de l’Inde, les pourcentages sont
contestés par certains qui prétendent une répartition quelque peu trop
optimiste en faveur de la population hindoue ; 80% d’hindous, 15% de musulmans
et 5% d’autres. Ce que je peux vous dire de mon côté, c’est que d’un avis
unanime, la population musulmane a tendance à croître plus rapidement que la
population hindoue ; et cela pour plusieurs raisons dont je relèverai ici
la principale, le taux de naissance supérieur chez les musulmans et la
réticence de ceux-ci à appliquer le planning familial qui leur est proposé.
Le
district de South 24 Parganas,en comparaison de l’Ouest Bengale, a
une population d’un peu plus de 8 millions d’êtres ; sa densité est de 800
habitants au kilomètre carré et sa superficie de 9'960 kilomètres carrés. Il
est davantage rural, riche de ses forêts et de sa mangrove. Ses habitants sont
à 66% hindous, 33% musulmans et 1% autres. Nous notons une plus forte
proportion de musulmans comparée à l’ensemble de l’Etat du Bengale et le l’Inde
en général, comme nous l’avons vu plus haut.
Revenons
maintenant à notre analyse sur le terrain !
Nandalal Baidya me propose de répartir la population des Sundarbans en 3
classes économiques distinctes ; la classe des pauvres, la classe moyenne,
la classe des riches. Il est de
notoriété ici que les pauvres représentent le 45% du peuple des Sundarbans, la
classe moyenne 40% et les riches 15%.
Une
petite analyse socio-économique vous est présentée ici. Si
l’on considère ces 3 classes en leur attribuant le "droit à la
propriété", le droit aux affaires [entendez le droit à l’accès au
business] et aux services [entendez le droit à l’accès aux postes de travail du
gouvernement], alors nous sommes stupéfaits de constater que la valeur du
facteur travail, en terme de produit économique, devient pour la classe des
pauvres quasiment "égale à 0" !
C’est bien le comble pour cette catégorie de la
population qui ne fait que travailler ; mais elle n’exerce que pour
survivre, dans les plus basses besognes de l’économie de la terre possédée par
les riches ! Outre son salaire de misère, elle n’en retire aucun profit en
termes de valeur ajoutée à son travail. Ainsi ces 3 catégories, en termes de
détention de richesse locale [en référence théorique à la richesse nationale] s’établit
comme suit ; 0% pour les pauvres, 20% pour la classe moyenne et 80% pour
les riches ! Vous avez dit "bizarre" ! Et bien je suis
d’accord avec vous, je dis aussi "bizarre" !
D’où
viennent nos élèves ?
Voilà une question que je pose à Nandalal Baidya. Selon lui, 75% font partie de
la classe des pauvres, 23% de la classe
moyenne et 2% de celle des riches. Nous rencontrons quelques enfants de
riches familles [quoique très peu] et davantage issus de la classe
moyenne. Cela provient du fait que nous travaillons dans des zones
particulièrement isolées dont certaines sont des îles qui ne sont accessibles
que par bateau ; cela peut suffire à expliquer qu’un très faible
pourcentage d’enfants aisés joigne nos écoles ; ce même raisonnement
s’applique aussi pour les enfants provenant de classe
moyenne.
La
question de l’analphabétisme doit bien entendu être traitée
par Ecoles de la Terre. Le taux d’alphabétisme indiqué par le gouvernement
bengali est de 75%. Un gros problème réside dans le fait qu’il considère un
individu comme alphabétisé s’il peut signer et écrire son nom [seulement]. Nous
nous apercevons donc que la réalité est toute autre.
Avec Nandalal nous estimons que le taux
d’alphabétisation du district de South 24 Parganas [des Sundarbans] n’est plus de
75% mais de l’ordre de 45% à 50%, si nous considérons que l’alphabétisation est
un outil au service du développement économique ; et qu’une personne n’est
plus analphabète lorsqu’elle a acquis les connaissances et compétences
indispensables à l’exercice de toutes les activités nécessaires pour jouer
efficacement un rôle dans son groupe et sa communauté; et dont les résultats
atteints en lecture, en écriture et en arithmétique sont tels qu’ils lui
permettent de continuer à mettre ces aptitudes au service de son développement
propre et au développement de la société dont il fait partie, afin de
participer activement à la vie de son pays. C’est exactement l’avis déclaré par
l’UNESCO en la matière en 1962.
En comparaison des exigences du gouvernement
indien, la nuance est de taille. Pour illustrer ce tour de passe-passe, nous
nous sommes plongés auprès de deux familles de Raidighi afin de mieux nous
rendre compte de la complexité des statistiques. Ainsi, pour la famille de
Nandalal Baidya composée de 12 membres, le gouvernement considère qu’un
individu est analphabète et 11 sont lettrés. Selon l’UNESCO, 3 sont
analphabètes et 9 sont lettrés. Pour l’autre famille constituée de 10 membres,
celle de Budhiswar Purkait, un enseignant d’Ecoles de la Terre aux Sundarbans,
2 sont considérés comme analphabètes et 8 comme lettrés selon le
gouvernement ; selon l’UNESCO le rapport est tout autre, 4 deviennent
analphabètes alors que 6 sont lettrés. Nous pourrions multiplier les exemples,
dont certains plus frappants encore ; notre but n’est que de soulever ce
"lièvre des statistiques".
Chères
amies, chers amis, je suis bien conscient d’avoir été long ; comment aurais-je pu faire autrement, si ce n’est que de vous
accorder du temps et vous apporter le plus d’informations possibles sur
l’expérience que je vis avec Ecoles de la Terre dans les Sundarbans.
Nous y sommes depuis le début de nos activités en Inde et nous pouvons observer aujourd’hui,
dans bien des domaines, que la roue
commence à tourner, que nombre de familles des villages s’engagent davantage
pour l’éducation de leurs enfants et s’investissent toujours mieux dans la
création de petites entreprises afin d’accroître leur autonomie et préparer
de meilleures conditions de vie pour leurs enfants.
Avec mes pensées les plus chaleureuses.
Martial Salamolard
Pour ECOLES DE LA TERRE
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