Ecoles de la Terre un jour - Ecoles de la Terre toujours !

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lundi 26 mars 2012

JOLIBIGHA, UNE ÉCOLE DU BIHAR, DANS UNE RÉGION LOINTAINE, SAUVAGE, OÙ L’ÉLECTRICITÉ N’EST PAS ARRIVÉE, OÙ LE POIDS DES TRADITIONS EST ENCORE PRÉSENT !

CHÈRES AMIES, CHERS AMIS,



Combien de fois vous ai-je présenté « Jolibigha School », sise au village de Naian Bigha dans l’Etat du Bihar ? À peu de chose près, chaque année depuis mars/avril 2004, soit au printemps de son inauguration. Si Chloé, notre ancienne volontaire, sa maman Loulou et son papa Alain lisent ce Blog, ils se souviendront à n’en pas douter doute de leurs escapades dans cette campagne lointaine et sauvage et de la journée d’ouverture de l’école ! Ils verront aussi à travers ces photos l’évolution de « Jolibigha » depuis ses débuts il y a de cela 8 ans.



Aujourd’hui je vais tenter de faire preuve d’un peu d’originalité en vous présentant « Jolibigha » autrement ! Auparavant, je vous rappelle rapidement quelques chiffres concernant l’école ; au programme de l’année 2011-2012, elle compte un effectif de 650 élèves, 12 professeurs, 7 salles de classes et 2 vérandas. Les photos du présent Blog les représenteront donc en bonne partie ! Durant ces dernières années, les demandes d’inscription de la part des familles des villages alentours furent telles, que nous avons dû ajouter 2 nouvelles annexes au bâtiment d’origine. Nous avons pu réaliser ces constructions grâce aux financements – donations – de deux généreuses Fondations genevoises.



C’est une joie de pouvoir dire ici que dans cette région rurale particulièrement pauvre et orthodoxe dans ses traditions locale, où l’électricité n’est pas encore arrivée dans les foyers, 47% de l’effectif de nos élèves est constitué de filles. Ce fut une condition sine qua non imposée aux familles, et cela dès nos débuts, que de scolariser les filles à hauteur des garçons ! Ceci est presque chose faite, ce qui n’est pas une gageure dans ces régions de traditions, de coutumes et de légendes, où malgré la renommée de « Saraswati », déesse des Arts et de l’Education, pour ne citer qu’Elle, tout ne va pas dans le meilleur des mondes pour les femmes et les filles !



Naian Bigha, comme les villages voisins d’où viennent nos élèves, où la pratique « naxaliste » est encore bien présente, l’éducation représente à nos yeux le meilleur moyen de sortir cette région de la précarité, de l’instabilité sociale et de la pauvreté. En évoquant cette pratique « naxaliste », nous voulons parler de ces mouvements sociaux, presque toujours d’origine rurale, qui se sont multipliés depuis l’indépendance indienne contre le pouvoir en place, la ségrégation sociale, les abus de pouvoir des hautes castes, la généralisation de la corruption au niveau gouvernemental, et j’en passe !



Naian Bigha et les autres villages voisins font partie d’une zone de district – en l’occurrence le district de Gaya – zone qui se nomme « Panchayat », en l’état, celui de Shergati ! La structure socio-politique de l’Inde n’est pas simple à présenter, loin s’en faut ! Françoise Frossard, membre d’Ecoles de la Terre, travaille aussi sur ce sujet dans l’optique d’un prochain livre.



Le Bihar est au cœur de l’ancien Empire Gupta et son histoire est grande. Elle est d’ailleurs une grande fierté pour nombre de ses habitants. Depuis l’arrivée du nouvel homme fort Nitish Kumar en 2005, en tant que nouveau chef du gouvernement bihari, les choses semblent enfin évoluer dans le bon sens. Nitish Kumar a mobilisé les femmes ainsi que les Dalits – dits aussi les Intouchables ! Il s’est attaqué au manque d’infrastructures dans l’Etat du Bihar, par la construction de routes, d’écoles et de centres de santé !



Il est de notoriété publique que Nitish Kumar a réussi un premier tour de force pour le Bihar, une région de l’Inde encore réputée pour sa corruption, son sous-développement et ses violences inter-castes. Mais le travail est gigantesque et il faudra du temps pour enterrer les mauvaises habitudes du prédécesseur de Nitish Kumar, Lalu Prasad, qui dirigea l’Etat du Bihar de 1990 à 2005.



J’ai pu observer moi-même au cours de ces dernières années les progrès enregistrés par la politique du nouveau gouvernement, particulièrement en ce qui concerne le réseau routier, les grands axes notamment. Je dis « les grands axes » car, en ce qui concerne les routes secondaires et les petites routes de campagne, tout ou presque demeure à réaliser ; mon pauvre dos de soixante huitard, jadis à l’affût des pentes les plus folles de nos blanches vallées alpestres, pourrait vous le confirmer !



Pour nous rendre à Naian Bigha, donc à l’école de « Jolibigha », nous devons emprunter sur plusieurs kilomètres une piste tout juste praticable pour des véhicules tout terrain.



Nous avons eu l’occasion de dire souvent dans la présente tribune qu’Ecoles de la Terre devait avoir pour mission de contribuer à l’éducation des enfants nécessiteux, là où ils se trouvent, en évitant la facilité qui consiste à aider en fonction de la situation géographique et des facilités de communication. L’humanitaire ça n’est pas vraiment cela ; c’est plutôt de se déplacer, au péril du confort, là où le besoin existe, plutôt que soulager sa conscience en périphérie des grands centres faciles d’accès.



C’est à l’occasion d’une visite parmi d’autres de la campagne biharie que j’ai eu l’occasion de découvrir, en compagnie de Marina Dupuis,, membre d’Ecoles de la Terre depuis ses débuts, la région de Naina Bigha au printemps de l’année 2003. Sans doute se souvient-elle de notre coup de cœur pour cette région sauvage que nous avons découverte sous une chaleur torride d’avril. Plein de petits villages disséminés à la ronde, plein d’enfants qui surgissaient de partout afin de découvrir notre blancheur de peau, étonnante en ces lieux !



Il ne nous a pas fallu longtemps pour décider de faire quelque chose, là-bas à Naian Bigha, en faveur de tous ces enfants au sourire large, à l’allure indomptée, aux gestes naturels, à l’attitude spontanée ; tout cela pour dire « sauvage », mais tellement « humain » !



Nous avons du « battre la campagne » afin de trouver des enseignants susceptibles d’assurer un programme décent. La première année fut, comme toujours dans ce genre de projet, une période test ! Quelques enseignants de l’école voisine de « Camijuli » sont venus prêter main forte aux premiers instituteurs de « Jolibigha School ». Le résultat fut si encourageant que l’expérience s’est renouvelée l’année suivante, et « Jolibigha » est devenue, dès la 2ème période scolaire, un établissement indépendant et déjà bien organisé.



L’équipe Ecoles de la Terre, en place à Bodhgaya à partir du printemps 2000, et expérimentée depuis l’ouverture de notre première école de « Camijuli » en janvier 2001, a fait un super travail d’organisation et d’intégration à Naian Bigha, sous la férule de Rajesh Kumar, l'inamovible responsable pour le Bihar.



« Jolibigha » est aujourd’hui solidement implantée dans le paysage socio-culturel de cette région. Nul doute que l’école demeure à ce jour le seul espace associatif complètement ouvert aux familles des villages qui envoient leurs enfants dans notre école. J’ai eu à de nombreuses reprises l’occasion de participer à des rencontres de parents d’élèves ; j’ai également reçu dans l’enceinte de « Jolibigha » quelques notables du coin ! J’ai perçu la curiosité et l’intérêt de ces gens pour l’école, dans ce qu’elle représente pour leurs enfants et pour eux-mêmes.



Ce blog est une occasion de parler d’Ecoles de la Terre à travers cette présentation de « Jolibigha School » dans un contexte un peu plus large de l’Inde, et du Bihar en particulier ; pour ne pas dire de Shergati, la région dont fait partie le village de Naian Bigha. Pour ce qui me concerne, je vis depuis bientôt 15 années les soubresauts du premier choc socio-culturel de mon tout premier long séjour en Inde, entamé en fin d’année 1997. Sept années plus tard, à Naian Bigha, le nouveau soubresaut ne fut pas des moindres.



À peu près rien ou presque ne pourra remplacer l’expérience du terrain, les mois et les années passées à vivre au plus près des joies et des peines des autochtones au quotidien. Un petit peu fort de cela, je perçois un peu mieux la culture indienne en regard de ces longs moments partagés dans un quartier de mégapole, dans une bourgade ou un village. Rester, un peu, beaucoup, pour mieux sentir la vie ; rester, un peu, beaucoup, pour mieux l’apprivoiser, mieux la comprendre de l’intérieur.



C’est une circonstance unique, une opportunité exceptionnelle que de pouvoir en parler en pleine vision intestine et d’écarter quelque peu le livre d’histoire, le condensé de géographie ou le traité d’économie sociale. Tout cela, c’est aussi l’envie de donner des informations du dedans, de dire que la vie sociale commence au chant du coq et s’endort au bal des étoiles. C’est encore le désir de coupler le besoin de présenter les choses méthodiquement, tout en leur adjoignant un zeste de poésie, comme un sourire ou une histoire drôle viendrait enjoliver un exposé rigoureux qui endormirait les corneilles sans ce zeste d’honnête légèreté, empreinte de saisissement et d’émotion.



Et puis vient la cerise sur le gâteau, je veux parler du contact avec les enfants, ces longs moments d’école et de récré, ces éternels au-revoir, tous parachevés de perpétuels retours, pour revoir les enfants, une tête en plus, une classe en plus ! Au fil des ans le « kid » devient un « teenager » », la « fillette » est devenue une « adolescente » ! Tous ces enfants, tous éduqués avec le but avoué d’inverser le taux d’analphabétisme qui caractérise tous ces villages.



Nos actions de scolarisation, mais encore celles de la formation professionnelle, du suivi médical et du soutien socio-économique aux familles, ce dont je vous parlerai dans mes prochains Blogs, peuvent être une façon de suivre l’évolution socio-culturelle et le développement économique d’un milieu de vie donné. Parlant du Bihar, et de ses régions rurales en particulier, vous savez déjà qu’il y a bien des choses à faire afin d'assurer un niveau de vie minimal et décent pour une grande partie de sa population.



Oui, au niveau national l’école est devenue en Inde depuis l’année 2010 une prestation obligatoire pour l’ensemble de sa population ! Encore oui, au Bihar le taux d’alphabétisation semble monter légèrement depuis ces 10 dernières années. Ces dispositions sont bien réelles mais cependant elles demeurent encore à l’état de projet et les chiffres publiés par les officines du gouvernement sont à prendre avec autant de précaution que de circonspection. Nous nous réjouissons de cette nouvelle tendance qui reste à se vérifier dans la réalité. Je vous le dis de l’intérieur, depuis les nombreux villages dans lesquels je passe l’essentiel de mon temps.



De plus, le fossé entre la classe moyenne et les populations les plus pauvres est en train de s’accroître dangereusement. Je l’observe carrément, obstinément et indubitablement depuis ces dernières années. Ce fossé, dont je crains qu’il puisse se transformer en abîme, est à analyser dans l’affrontement et l’antinomie du couple « ville – campagne », entre la contradiction et l’opposition de la vie urbaine et de la vie rurale ; tel est le constat que je peux porter pour un pays tel que l’Inde, sachant bien qu’un tel bilan peut se dresser dans quasi tous les continents de notre planète.



Vous avez bien remarqué qu’à Naian Bigha nous vivons dans l’environnement et l’atmosphère de l’Inde rurale, profonde, traditionnelle, orthodoxe, coutumière. Nous cherchons ainsi à développer nos programmes en fonction du milieu culturel, social et économique de cette région. C’est pour cela que nous avons pensé pouvoir et devoir créer une ferme pédagogique. Pourquoi ?



Parce que Naian Bigha et sa région est d’un point de vue économique essentiellement de nature agricole. Avec Rajesh Kumar, le responsable d’Ecoles de la Terre pour le Bihar, nous avons estimé que l’intérêt de ce monde agraire pouvait bien rejoindre nos préoccupations dans le contexte de la région. Autrement dit, sensibiliser nos élèves aux activités de leur milieu économique pourrait être un bon moyen d’ouvrir l’école au monde extérieur, de créer des liens avec l’économie locale en leur montrant notre intérêt, en nous faisant connaître aussi.



De là est née notre ferme « Rita », du nom de notre généreuse donatrice qui a financé l’acquisition d’un vaste terrain et la construction des bâtiments nécessaires à l’exploitation. Nos élèves des classes les plus élevées sont régulièrement conviés à suivre l’évolution des cultures. Ils participent également à quelques petits travaux, histoire de découvrir et évaluer le métier autrement ! Aujourd’hui nous préparons l’aménagement et l’installation d’un deuxième secteur de la ferme, à savoir le domaine de l’élevage.



À Jolibigha School cette expérience est considérée comme une expérimentation pilote qui pourra, nous l’espérons, se développer dans d’autres zones rurales où nous gérons nos écoles. L’objectif à court terme est d’organiser une structure de formation professionnelle à l’intention des élèves sortant de l’école et désireux de se lancer dans le métier, mais également à l’intention des jeunes gens des villages qui n’ont pas suivi de scolarisation mais se sont lancé dans cette profession.



Chères Amies, Chers Amis, je suis heureux de vous avoir présenté « Jolibigha School » sous cette forme, multisectorielle, multidimensionnelle, multidisciplinaire, en tenant compte de plein de facteurs qui, dans l’environnement et l’atmosphère qui sont les nôtres peuvent permettre d’enrichir les prestations de l’école, créer des liens avec la population locale et construire ainsi les bases nécessaires à l’amélioration des conditions de vie de cette communauté pauvre et besogneuse.



Avec mes meilleures pensées et mes vœux de renouveau, avec des fleurs et du soleil, en ces premiers jours de printemps !

Martial Salamolard pour ECOLES DE LA TERRE

Note finale : toutes les photos de ce blog sont de « Jolibigha School » et de ses environs immédiats, prises en mars 2012 !

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